Homo antiracismus : neuf mois de gestation ?
La justice a œuvré. Elle a condamné Madame Anne-Sophie Leclère, commerçante ardennaise de son état et ex-candidate FN aux municipales, à neuf mois de prison ferme pour tenue de propos racistes. Hormis aux militants radicaux, absorbés dans un combat à mort contre toutes formes de racisme, la disproportion de la peine eu égard au crime saute aux yeux. Lorsque la justice veut faire des exemples, elle cache difficilement qu’elle se fait partisane.

D’ordinaire, lorsque l’on s’apprête à parler du Front national sans l’assimiler au nazisme, il faut au moins montrer patte blanche et dire en quoi l’on peut prétendre malgré tout à un brevet de bonne santé sociale. On s’en passera. Je vais essayer de parler au nom de certains, de la plupart peut-être. Quel est le sentiment qui prime lorsque l’on regarde l’image incriminée de la Garde des Sceaux (Christiane Taubira) comparée à un singe ? L’expérience de la bêtise. Quel est celui qui se dégage de l’interview accordée par la « criminelle » à l’émission Envoyé Spécial ? L’expérience de la France profonde, de la France des fins de mois difficiles, des vérités crues (dans les deux sens du terme) distillées dans l’accent du coin, de la France qui se ruine en tabac et en Playstation, qui étale sa vie sur Facebook et épouse tous les préjugés que véhicule le net, de préférence à « faire suivre en masse » parce que « nos politiques nous mentent » (ce qui est vrai, pour le coup).
Cette France-là, le seul parti politique d’importance électorale à assumer son existence et à en faire son beurre, c’est le Front national. Il est le seul, en effet, à recruter, non dans les viviers de fils à papa, mais dans la France réelle, celle dont la droite en chemise vichy ne soupçonne même pas l’existence et dont la gauche béate d’admiration devant le bon peuple ne veut pas entendre parler. C’est pourtant elles, la gauche et la droite qui, conjointement, et à l’abri d’une promiscuité intenable sans certains prérequis, promeuvent depuis un demi-siècle un universalisme à sens unique. Tous les pays du monde savent se montrer égotiste quand il le faut ; seule la France est malade d’elle-même et, en permanence, se rêve autre qu’elle n’est, mâtinée à l’envi par nos humanistes argentés. Un snobisme de l’exotisme point derrière tout ça. Un beau jour, le Tour de « France » partira d’Algérie, c’est sûrement dans les cartons. Or, même un pays cosmopolite a besoin d’exigence culturelle et de valeurs communes. Mais, parce qu’elles distinguent et laissent certains à la porte, l’ « exigence » et les « valeurs » ne font pas partie du vocabulaire de la gauche. En regard, « culturelle » est un adjectif auquel on ne croit pas à droite lorsqu’il ne rapporte pas, quant au « commun », il insupporte les esprits dits « libéraux ». Il faut dire que le parti historiquement le plus sectaire et psychorigide de France a beaucoup fait pour en dégoûter bon nombre.
Revenons à la criminelle du jour. Que ses propos puissent être qualifiés de racistes, cela semble ne faire aucun doute. Mais comment devient-on raciste ? Le racisme se transmettrait-il lui-même par les gènes ? Ou bien ferait-il l’objet d’une éducation spécifique dans certains milieux ? Serait-il envisageable que certains parents martèlent à leur progéniture dès leur plus tendre enfance que tout ce qui ne partage pas leur couleur de peau doit être assimilé à un animal se tenant sur ses pattes arrière ? Non. Le racisme découle le plus souvent d’un nœud d’expériences et de préjugés qu'une absence d’instruction et de sens moral a favorisé. D’instruction ET de sens moral. Si l’Allemagne, pays de haute culture, a pu sombrer dans l’horreur que l’on sait, c’est parce qu’elle a négligé le problème éthique. Si la France, tête de pont de l’idéologie des droits de l’homme, se voit aujourd’hui incapable d’endiguer véritablement le mal raciste, c’est parce qu’elle prétend faire la morale à des gens que ses gouvernants successifs ont contribué à abrutir, qui au nom de l’ouverture aux autres, qui au nom du profit.
Parce que le fond du problème est bien là, me semble-t-il : on criminalise le racisme alors qu’il est avant tout une manifestation de la bêtise. Partant, il y a de grandes chances que Madame Leclère, lorsqu’elle sortira de prison, non seulement ne sera pas devenue plus maligne, mais sera encore plus aigrie par un deux poids, deux mesures que Madame Taubira elle-même serait bien en peine de récuser. Ainsi Madame la Ministre ferait-elle des pieds et des mains pour que la justice mise davantage sur la prévention que sur la répression, sans que ce tendre amour pour le genre humain ne s’adresse aux racistes, sous-hommes entre tous ? Il m’est avis, surtout, qu’un pays ayant sanctifié l’opinion comme l’alpha et l’oméga de la démocratie sans autre référence axiologique que l’égale intelligence des individus se trouve pris au dépourvu lorsqu’il s’agit de distinguer les opinions sur la voie du savoir des opinions délétères (comme le racisme qui, je le rappelle, répond trait pour trait à la définition que tous les dictionnaires de France et de Navarre donnent du mot « opinion ». Il n’a alors d’autre choix que de brider la liberté d’expression, de criminaliser les propos racistes et de faire du racisme proféré un crime plus abominable que le viol en réunion ou le braquage à main armée.
Le racisme est plus qu'un crime, c'est une maladie sociale, un défaut d'intelligence éthique, ce qu'atteste la volonté de nos gouvernants de limiter la contagion en faisant des tribunaux l'organe de la censure. Un crime nécessite l'intervention de la justice. Une maladie demande plus d'efforts et bon sens.