Sur un malentendu politique

La souveraineté, victime ultime du prêt-à-penser

Le facétieux Jean Baudrillard relevait en son temps l’ambiguïté à mettre en parallèle SOS Baleines et SOS Racisme. Évoquant la nécessité de préserver les mammifères marins en voie de disparition, il se demandait si, dans le fond, SOS Racisme n’était pas un « appel subliminal » à préserver aussi le racisme, ultime avatar des passions politiques, autre espèce en voie d’extinction. En politique, l’ennemi est à ce point nécessaire qu’il faut parfois s’en inventer un. Non que le racisme n’existe pas en France, comme partout ailleurs, mais à en voir partout, on occulte sciemment où sont les vrais problèmes. Et qui sont les vrais ennemis.

@ Tous droits réservés

Depuis quelques années, nous faisons face à une succession de crises sans voir qu’il s’agit toujours de la même sous ses différents aspects.

À partir de 2008, nous avons subi une crise économique, par quoi il faut entendre une crise financière. Il s’agissait en effet d’une crise de la surconsommation et à travers celle-ci, en grattant encore davantage, d’une crise de la spéculation financière. La plupart d’entre nous n’y ont pourtant vu que l’effet délétère des banques, se focalisant ainsi sur les conséquences à leur portée, sans interroger les causes profondes.

En 2012, nous sommes entrés de plain-pied dans la menace permanente, celle du terrorisme islamiste, aussi bien dans la capitale qu’en régions. Cette crise sécuritaire, pour ne pas dire identitaire, ne peut néanmoins pas être analysée sous le seul angle de la présence de l’islam sur le territoire national.

En 2018, la crise des Gilets jaunes est peut-être la seule à avoir touché du doigt la cause des causes, celle d’une réforme de nos institutions, quand bien même certains persistent à n’y voir qu’une mesquine défense du pouvoir d’achat ou un éloge du vandalisme. En conséquence, le mouvement devait être maté, par la force armée comme par le noyautage.

En 2020, la crise sanitaire, ses origines nébuleuses et sa gestion calamiteuse n’ont pas empêché tous les responsables de ce fiasco de s’en sortir à bon compte et d’être tous réaffectés à des fonctions grassement payées pendant que les citoyens se déchiraient sur l’attitude à avoir face aux privations de libertés.

Depuis 2021, une crise énergétique s’installe durablement, amplifiée par l’intervention militaire russe en Ukraine en février 2022. Au-delà de la sempiternelle recension des gentils et des méchants, une fois de plus, les dysfonctionnements profonds et l’absence totale de stratégie énergétique sont difficilement relayés par les médias autorisés.

Pour couronner le tout, la crise environnementale, qui devrait mettre tout le monde d’accord, ajoute encore aux dissensions, mettant aux prises la religion de la croissance et l’hygiénisme vert.

Malgré leur virulence et leur soudaineté, toutes ces crises n’en font qu’une. Tous ces phénomènes ne sont en effet que les conséquences d’une même cause, les symptômes d’un même mal, à savoir notre perte totale de souveraineté, au sens d’une liberté de choix collectif. Il faut enfin cesser de substituer à l’importance des causes celle des conséquences, cesser de regarder le doigt lorsqu’on montre le soleil.

Que sont les banques, si ce n’est l’instrument de la spéculation financière, et comment réguler celle-ci sans souveraineté monétaire ? Comment ne pas voir dans le terrorisme islamiste les méfaits du communautarisme et la conséquence d’une absence totale de politique migratoire au niveau national ? Que reste-t-il d’autre aux Gilets jaunes pour se faire entendre que la violence, eux qui n’ont plus confiance dans leurs représentants, de tous bords malhonnêtes ? Les complotistes, tant montrés du doigt, sont-ils responsables du manque de masques et de moyens sanitaires dans un pays qui s’est rendu totalement dépendant des produits venus de Chine (comme le virus lui-même) ? La guerre en Ukraine et la préservation de l’environnement seront-elles les seules causes des coupures d’électricité survenues à l’hiver 2023 ? Ne faut-il pas plutôt y voir l’effet d’une perte de souveraineté énergétique ?

Dans tous les cas, l’absence de souveraineté des États, mais aussi des populations est en cause. Or, qui dit reconquête de souveraineté dit réforme des institutions en profondeur, autrement dit crise de régime et nécessité d’en changer. Que vous souhaitiez faire entendre votre voix, avoir un droit de regard sur les délocalisations, sur l’origine des produits d’import ou celle des fauteurs de troubles à interdire de territoire, que vous désiriez réguler des capitaux ou garantir un minimum d’autarcie et de défense nationale en cas de crise ou de guerre dans un pays voisin ou fournisseur, vous devez au préalable vous assurer de conserver, d’entretenir, de pratiquer la souveraineté nationale sous l’égide d’une constitution qui vous le permette, à l’abri des injonctions étrangères.

La plupart de nos concitoyens ne verront en cela que du bon sens. Toutefois, il est un sujet sur lequel une minorité bruyante trouve à redire, quitte à jeter l’opprobre sur l’ensemble du dossier relatif à la souveraineté : celui lié à l’immigration. Vous pouvez passer des jours, des mois, des années à repenser le concept de souveraineté, à tenter de le remettre à l’honneur, à le réformer dans son ensemble, point par point, vous n’aurez pas d’autre choix que d’aborder, tôt ou tard, la question de l’immigration. Qu’on le veuille ou non, sans bien sûr la réduire à cela, toute réflexion sur la souveraineté nationale doit être suffisamment mature pour inclure cette question dans la liste des chantiers à mener, sans langue de bois ni faux-semblants. Ne pas l’admettre est malhonnête. Or, non seulement la question de l’immigration est un tabou dans certains milieux ayant la main sur la diffusion de l’information (journalisme, communication, édition), mais dès qu’un défenseur de la souveraineté s’en saisit, il est immédiatement et irrémédiablement ostracisé de tout débat public, rangé à l’extrême droite et disqualifié pour velléité de discriminer. Reductio ad Lepenum.

La conséquence la plus directe est l’impunité totale dont bénéficient nos gouvernants, nos experts et nos médias quant à la manière dont, respectivement, ils sacrifient, justifient et minimisent notre perte de souveraineté depuis trente ans. Il n’y a jamais eu autant de conflits intercommunautaires en France que depuis que l’idéologie prétendument « antiraciste » s’est mise en place de manière inquisitoriale, délivrant, au rebours de toute idée de démocratie, ses brevets de fréquentabilité républicaine. Ainsi l’idée même de souveraineté est-elle maintenue en marge de tout débat de fond, car rendue suspecte de desseins peu avouables. La France continue donc de s’enfoncer, gouvernement après gouvernement, dans une totale dépendance aux flux et aux lois de l’extérieur.

Nous sommes pris en tenaille. À la base, disséminés au sein de la société civile, les petits soldats, militants inconditionnels de l’amour de l’Autre assurent leur rôle de délateurs compulsifs par souci de bien faire. On en trouve dans les administrations, dans les associations, dans les universités, dans les grands médias, dans les rédactions, dans les maisons d’édition et dans les agences de communication. Au sommet, garants de l’ordre mondial, les technocrates atlantistes se fichent pas mal de l’alchimie entre les cultures, de la souveraineté et même de la tolérance, mais grâce aux idiots utiles du mondialisme, ils n’ont même pas à faire face aux questions essentielles sur la démocratie, la réécriture de la constitution et le changement de régime.